La cour d’arbitrage, sa jurisprudence et l’égalité de droit à la sauce belge
Derrière l’appellation cour d’arbitrage se cache, en réalité, la cour constitutionnelle de Belgique. Née en raison de l’histoire politique belge (plutôt qu’en conséquence des idées de Kelsen), elle a pu, au fil du temps, accroître son pouvoir tranquillement.
Initialement – et l’on comprend mieux le sobriquet réducteur qu’elle porte – sa mission était mince, mais centrale, dans le jeune fédéralisme belge : elle arbitrait les conflits de compétence surgissant entre l’état et/ou les entités fédérées. Par la suite, elle put s’aventurer dans le contentieux de l’égalité. Enfin, depuis trois ans, son domaine de compétence s’est accru aux droits et libertés du titre II de la constitution.
Pour compléter ce portrait rapide, il reste à ajouter que la cour peut déclarer nulle ou inapplicable une loi. Ceci situera ses forces d’action.
Mais – venons-en au but – pourquoi vous parler de la cour d’arbitrage ? Tout simplement parce que sa jurisprudence est symptomatique de la pensée unique actuelle qui renverse tout sur son passage. Quelle jurisprudence ? La plus rôdée, la plus perverse, celle que la cour utilise depuis une quinzaine d’année, celle qui a trait au principe d’égalité.
Avant toute chose, et pour mieux saisir les contorsions de la cour, je vous propose de lire les deux articles constitutionnels qui ont mené, dieu sait comment, au résultat tant honni.
« Article 10. Il n’y a dans l’État aucune distinction d’ordres.
Les Belges sont égaux devant la loi ; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers.
L’égalité des femmes et des hommes est garantie. »
« Article 11. La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. À cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques. »
L’article 10 date de 1831, hormis son dernier alinéa, inutilement rajouté en 2002. L’article 11 n’a, quant à lui, que trente-six ans. Malgré sa vieillesse, l’article central – soit le premier des deux cités – reste compréhensible pour le commun des mortels. Son premier alinéa rompt avec l’ancien régime ; le second alinéa, initio, décrète l’ordre nouveau. Ce dernier est parfaitement compatible avec la pensée libérale : en effet, il promet aux Belges une égalité de droit sans exception. Ainsi, chaque citoyen doit être traité de la même façon par le législateur : l’arbitraire du pouvoir est donc exclu.
La lecture toute simple proposée ici n’était visiblement pas satisfaisante. Il fallait la pervertir ; la cour d’arbitrage s’en chargea. (Une égalité de droit, non mais, et puis quoi encore ? La propriété privée ?) Ci suit la récurrente lecture de l’hypocrite cour d’arbitrage :
« Les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s’opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure concernée, sont essentiellement différentes. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée, ainsi que de la nature des principes en cause ; le principe d’égalité est violé, lorsqu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but visé. »
Je pense que les passages surlignés suffisent à eux seuls pour illustrer la nette différence entre la plume limpide du constituant et les fourbes visées des exécutants du pouvoir politique (car, désormais, nous ne pouvons plus les appeler que comme ça). Non seulement, dans un premier temps, la discrimination sera admise, mais, en plus, dans un second temps, il ne sera pas permis qu’on puisse revenir dessus.
Ainsi, en Belgique, les étatistes sont parvenus à détourner un principe séculaire fondamental : l’égalité de droit. Alors que quelques-uns de nos ancêtres avaient lutté, en leur temps, pour que disparaissent les inégalités juridiques entre hommes, nos contemporains les ont rétablies : le communisme, bien aidé par le communautarisme, constitue, en cela, un retour vers le passé effrayant.
En guise de conclusion, je rappellerai que Kelsen avait très bien senti le danger des idéologies socialistes. Pour les contrer, il proposait à l'Europe une institution venue des États-Unis, la cour constitutionnelle : celle-ci veillerait au respect des normes constitutionnelles par le législateur. Hélas, le constitutionnaliste autrichien perdait de vue que la cour elle-même pouvait dénaturer ladite constitution…
N.B. Dans la série « jurisprudence passée et présente », le prochain billet traitera – longuement – de droits de succession d'impôt sur la mort.