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Porte entr'ouverte
29 janvier 2007

Législation sur les soldes

Suite aux commentaires formulés sur le billet intitulé « Métier inutile financé avec notre argent : contrôleur de soldes anticipées », j’analyserai aujourd’hui, comme promis, les travaux parlementaires consacrés à la législation touchant aux soldes. Souvenez-vous : alors que je devinais, une fois de plus, un futile motif derrière l’interdiction de solder en dehors de périodes imposées, d’autres, bien trop confiants en la rationalité du législateur, imaginaient de bonnes raisons derrière la mesure étatique.

Les recherches furent pénibles : je dus, en effet, farfouiller une demi-journée dans les tonnes de pages dont on gavait déjà le Moniteur belge à l’époque. Au final, le résultat s’avère encore plus surprenant que ce que je pensais. Mais n’anticipons pas et commençons par le commencement : place à la petite histoire.

Actuellement, ce sont les articles 49 à 54 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce qui légifèrent les soldes. Ils ont succédé aux articles 28 à 31 de la loi du 14 juillet 1971 (maintenant abrogée). Même si celle-ci se voulait une consolidation de certaines règles commerciales, il n’est pas nécessaire de remonter dans un passé plus lointain : les travaux parlementaires sont suffisamment bavards pour que la première étape de l’exposé y soit consacrée.

Une raison essentielle motivait cette compilation législative : l’envie de réglementer. Cet extrait de l’exposé des motifs vous en convaincra :

« Le gouvernement propose (…) une réglementation fort étendue des pratiques du commerce.

Les principes qui doivent être à la base de cette réglementation peuvent être énoncés comme suit :

Le commerce doit s’exercer avec dynanisme (sic – lapsus révélateur ?) et dans un climat de liberté. Il ne peut donc être question de créer des entraves artificielles au développement normal de la concurrence. »

(Waw, jolie cette dernière phrase ! Dommage que le contraire soit énoncé juste après.)

« Mais la liberté du commerce ne peut dégénérer en un régime d’anarchie. La vraie liberté doit s’exercer dans les limites, d’ailleurs fort larges, de la loyauté de la concurrence. Cette limites (sic) sont naturellement tracées par les droits réciproques des concurrents et des consommateurs. Chaque fois que ces droits sont méconnus, le devoir des autorités est d’assurer le rétablissement de l’équilibre rompu et les moyens d’une répression, dans le respect des droits de la défense. »

Le législateur était décidément bien ignorant :

1. L’anarchie ne signifie pas absence de règles, mais absence de pouvoir politique.

2. Les commerçants, depuis la nuit des temps, ont toujours appliqué leurs propres règles pour apaiser leurs différends. De plus, les « pratiques du commerce » existaient déjà, fût-ce dans les mœurs commerciales, avant que le législateur s’amuse à les définir.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le législateur a simplement voulu, au départ, définir ce que l’on devait entendre derrière les mots « liquidation », « soldes », etc. Or, un législateur qui définit, c’est comme un législateur qui écrit l’histoire : en voulant éduquer par la réglementation (ce qui n’est pas son rôle), il freine la liberté du commerce et la liberté d’expression ; bref, il restreint la liberté individuelle et rend la vie pénible. Ainsi, les liquidations « ne peuvent avoir lieu que dans sept cas précis » et « doivent en outre être notifiées à l’administration ». Concernant les soldes, « elles ne peuvent avoir pour objet que certains produits et n’avoir lieu que pendant certaines périodes » ; de plus, « elles sont (…) soumises à certaines conditions ».

Tant la loi de 1971 que celle de 1991 ne réglaient pas directement les dates des soldes : elles renvoyaient au Roi. Ainsi, de 1986 à 1992, l’on connut pas moins de quatre réglementations à ce propos. Il fut finalement proposé, en 1993, d’inscrire dans la loi les deux périodes annuelles durant lesquelles les soldes seraient permises. Je passerai les maladresses de rédaction qui nécessitèrent un ajout aux articles 51, § 1, et 52, § 1, LPC en 1999 et me concentrerai directement sur la manière de procéder.

Les ajouts de 1993 reposaient sur deux enquêtes. De celles-ci ressortaient les conclusions suivantes :

- « une écrasante majorité de commerçants (pourcentages, s’il vous plaît ?) estime qu’il est nécessaire de maintenir une réglementation sur les soldes ». Deux remarques. Primo : bien des commerçants n’avaient connu, lors des enquêtes, que les règles étatiques – trop jeunes, ils ignoraient que, par le passé, les commerçants avaient leurs propres coutumes, suffisantes pour empêcher l’anomie. Secundo : quand on évoquait les « réglementations sur les soldes », les commerçants ne pensaient peut-être pas aux dates imposées – la preuve suit au second tiret.

- « les commerçants demandent clairement que la date des soldes soit avancée ».

Nous noterons donc :

1. que la sculpture législative des dates de soldes fut basée sur des enquêtes ne posant aucune question précise concernant le maintien de celles-ci ;

2. que, de plus, les enquêtes ne concernaient qu’une infime partie de la population (2000 + 400 commerçants), sans se préoccuper le moins du monde de l’opinion du bénéficiaire des soldes : le citoyen – vous et moi.

En outre, les documents parlementaires attestaient que les commerçants, dans les faits, luttaient clairement contre le maintien de ces périodes obligatoires : ils fraudaient.

« Les chiffres des contrôles effectués sont parlant :

- en été 1992 ± 4.500 contrôles ont été effectués, ce qui a mené à :

* 460 procès-verbaux d’avertissement,

* 20 pro-justitia pour infraction de mauvaise foi ;

- en hiver 1992-1993 ± 20.990 contrôles ont été effectués, ce qui a mené à :

* 1380 mises en ordre immédiates après le contrôle,

* 345 procès-verbaux d’avertissement,

* 23 pro-justitia pour infraction de mauvaise foi ;

- en été 1993, 27.500 contrôles ont été effectués, ce qui a mené à :

* 2.583 mises en ordre immédiates,

* 492 procès-verbaux d’avertissement,

* 129 pro-justitia. »

Bref, nous pouvons conclure, une fois de plus, que l’intervention de l’état en la matière fut basée sur un quiproquo opportun : ignorant la réalité coutumière, le législateur définit quelques pratiques du commerce et aboutit, au final, à une interdiction légale pénalisant tout le monde.

N.B. Sources : Doc. Parl., Sén., Sess. 1968-1969, n° 415 ; M.B. 30.07.1971, p. 9087 ; M.B. 29.08.1991, p. 18712 ; Doc. Parl., Ch., Sess. 1992-1993, n° 1158 ; M.B. 11.11.1993, p. 24689.

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