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3 mars 2007

Analyse du décret Arena

Introduction

Le projet de décret déposé par la ministre Arena a passé le cap du Parlement de la Communauté française ce mercredi 28 janvier 2007, à 7 heures 30 du matin. Beaucoup d’encre ayant coulé à ce propos, il convient peut-être de revenir précisément sur les mesures prises par la majorité PS-cdH. En effet, entre les alarmes de parents paniqués et les calmants de politiciens roublards, le citoyen lambda ne sait plus trop qui croire. Ce vendredi 2 mars, j’ai reçu un courrier de Joëlle Milquet tordant le coup aux « mauvaises informations » ayant circulé au sujet du futur décret. La missive m’était envoyée en raison de ma qualité de signataire d’une des pétitions ayant circulé sur Internet. Pour me faire une idée définitive du texte décrétal en question, j’ai décidé de l’étudier par moi-même.

Or, tous les destinataires de cette lettre n’en feront pas de même. Certains croiront sur parole madame Milquet. D’autres n’auront ni le temps, ni l’envie, ni le courage, de se lancer dans la folle aventure analytique d’un texte législatif. Enfin, quelques-uns, plus téméraires, ne pourront tout simplement pas accomplir la gageure : il faut non seulement trouver le corps du décret voté et des lois qu’il complète, mais également être capable de comprendre la matière visée et le langage bureaucratique employé. Par conséquent, j’ai décidé, pour tous ces gens-là, de publier, sur mon blog, une brève analyse du décret Arena. Mes lecteurs habituels me pardonneront le rappel qui suit, mais le nouveau venu doit savoir que je ne suis partisan d’aucun groupement politique belge. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser il y a une semaine, le MR et Écolo me débectent autant que le PS et le cdH : si les deux premiers cités s’étaient trouvés dans la majorité au moment du vote, ils auraient signé le texte proposé – comme ils l’avaient fait en 2004 à l’occasion d’un décret aussi liberticide que celui étudié aujourd’hui. Afin d’éviter les attaques constructivistes consistant à m’insulter du nom du petit frère fasciste, j’indiquerai également que j’insupporte les idées du FN (et assimilées). J’invite donc à faire tourner, sur le Web, les lignes qui suivent.

Afin de clore cette longue introduction, je préciserai encore que je suivrai le plan du décret pour effectuer l’analyse. Tout d’abord, je survolerai rapidement le titre ayant trait à l’exclusion d’un élève. Ensuite, j’aborderai la mesure la plus liberticide, celle restreignant les changements d’école en cours de cycle. Enfin, je reviendrai sur le titre touchant aux refus d’inscription. Pour des raisons de clarté, je renverrai aux textes officiels via des notes de bas de page.

I. Exclusion d’un élève (art. 3 à 11)

Ce titre-ci n’ayant pas soulevé d’indignation dans la population, je me contenterai d’énoncer le résultat qu’il engendrera : moins d’exclusions – tant bien même seraient-elles justifiées – au sein des établissements subventionnés, et ce pour des seules raisons d’argent[1]. Pas de chance pour les établissements qui ont exclu un élève depuis le 1er janvier 2007 : les mesures adoptées sont rétroactives (art. 17).

II. Changement d’école en cours de cycle (art. 12)

Le nouveau décret rend plus stricte la législation précédente. Désormais, il sera interdit à toute école maternelle ou primaire d’accepter l’inscription d’un enfant qui était déjà inscrit dans un autre établissement pendant l’année scolaire en cours ou la précédente, tant que le cycle en cours n’est pas terminé[2]. Pour rappel, les différents cycles de l’enseignement fondamental[3] sont : de la troisième maternelle à la deuxième primaire, de la troisième à la quatrième primaire, de la cinquième à la sixième primaire. Que signifie donc, concrètement, tout ce charabia ? Que vous n’aurez plus la liberté de changer votre enfant d’établissement entre sa première et sa deuxième primaire. Idem entre la troisième et la quatrième. Ibidem entre la cinquième et sixième. Enfin, l’on notera – autre nouveauté – que cette interdiction vaudra également entre la première et deuxième secondaire[4]. Bref, vous l’aurez compris, le principe du décret est la non liberté du parent.

Bien sûr, restent encore quelques exceptions à cette servitude. Vous ne devrez pas vous justifier si ce changement, alors légal, découle de divers cas de figure : changement de domicile, séparation des parents, placement du mineur par un magistrat, passage d’un internat à un externat (et vice versa), accueil de l’élève dans une autre famille, motifs professionnels du parent isolé et exclusion définitive d’un autre établissement[5]. Le décret prévoit également une procédure bureaucratique au cas où votre enfant connaît des « difficultés psychologique ou pédagogique ». Pour le changer d’établissement, vous devrez alors passer par l’accord du directeur, après audition. S’il refuse, il vous faudra jouer des pieds et des mains auprès du service d’inspection et du ministre chargé de l’enseignement obligatoire (procédure durant presque un mois)[6].

Désormais, vous devrez donc vous justifier si vous souhaitez, au cours d’un cycle, placer vos enfants dans une autre école. Vous n’aurez plus le pouvoir discrétionnaire propre à tout individu : l’état Big Brother devra savoir à tout prix quelques éléments de votre vie privée pour que vous puissiez – s’il vous l’accorde – exercer votre libre choix.

Au fait, comment est-ce que Marie Arena légitime tout cela ? « Cette mesure vise (…) à réduire les pratiques de « consumérisme scolaire » qui voient certains enfants ou adolescents changer plusieurs fois d’école au cours de leur scolarité. »[7] Ben voyons. Madame Arena sait mieux que nous ce qui est bon pour nos enfants, visiblement. Et pour lutter contre quelques cas isolés, elle pénalise tout le monde !

III. Refus d’inscription (art. 13 et 14)

Le décret organise da façon détaillée les inscriptions au sein des écoles. A l’avenir, les inscriptions dans un établissement ne seront valables qu’à partir d’une certaine date, à fixer par le gouvernement.

Cette règle fait la fierté des politiciens. Selon eux, elle constitue même une avancée dans l’égalité face à l’enseignement. Ainsi, Joëlle Milquet estime que « prévoir (…) une même date pour tous les parents (…) à partir de laquelle les écoles peuvent inscrire les élèves selon leurs propres modalités est une garantie donnée à l’ensemble des parents d’avoir les mêmes chances d’accès à l’école de leur choix. » Cela est donc censé permettre aux parents d’ « avoir les mêmes chances d’accès à (certaines) écoles et pas seulement les mieux avertis du système » Et pourtant…

Je vois deux arguments s’opposant frontalement à la nouvelle mesure.

1. Est-ce que cette intervention étatique est légitime ? Ne se trouve-t-on pas dans un nouveau cas de figure où, pour régler un infime problème, l’on pénalise tout le monde ? Il faut croire que si. Deux illustrations, dénichées… dans les explications offertes par le cdH : « Aujourd’hui, il faut parfois s’y prendre plusieurs années à l’avance pour avoir une chance d’inscrire son enfant dans certaines écoles. » « Il faut savoir que la toute grande majorité des écoles ne refuse jamais d’élèves. »

2. Ces nouvelles règles pénalisent le parent responsable. Auparavant, toujours attentif à l’avenir de ses enfants, il se renseignait suffisamment tôt que pour être certain du bon avenir de ses protégés. Désormais, il devra subir les inévitables files, encombrements et pertes de temps que provoquera le « feu » de départ crié par la presse la veille du jour d’ouverture des inscriptions. La déresponsabilisation des parents n’est-elle pas déjà assez flagrante et contre-productive, dans nos sociétés dites « modernes », pour que l’on cesse enfin de la promouvoir encore plus ?

Remarquons que l’injustice ne s’arrête pas là. A l’avenir, les écoles secondaires ne pourront plus privilégier, lors des inscriptions, les enfants qui avaient suivi leurs primaires dans l’école fondamentale liée à l’école secondaire en question. Surprenant, dans la mesure où les politiciens, ceux-là même qui ont voté cette mesure, se prévalaient, à propos des changements d’établissement en cours de cycle (voir le point II), de rapports pédagogiques peu favorables aux « changements trop fréquents et déstabilisants pour l’enfant » (dixit cdH).

Quoi qu’il en soit, ce titre du décret ne sera pas annulé par la Cour d’arbitrage. En effet, celle-ci a abaissé sa culotte il y a trois ans face à un décret similaire du législateur flamand, en modifiant sa jurisprudence précédente[8]. Reste à voir, maintenant, comment elle appréciera le titre ayant trait aux changements d’établissement en cours de cycle.

Conclusion

Au final, une vue d’ensemble doit être dégagée. L’enseignement francophone se trouve dans un état catastrophique. Les études PISA l’ont démontré, chiffres à l’appui. Cette situation découle, à mes yeux, de braquages idéologiques profonds au sein de la classe politique francophone, voire même de la caste professorale. En se concentrant plus sur l’ « égalité factuelle entre élèves » que sur la qualité de l’enseignement, l’on obtient un résultat désastreux : certes, les élèves sont égaux, mais égaux en nullité. Réfléchissez à ce point : est-il normal que, sous couvert de principes idéologiques (fussent-ils nobles), l’on en vienne à baisser la qualité de l’enseignement offert à certains pour rétablir la balance avec les autres ? Poser la question, c’est y répondre. Le nivellement par le bas n’apportera qu’une chose : une décadence sociétale.

Chez nous, on la retrouve à chaque coin de rue. Or, plutôt que de se concentrer sur les causes des malheurs actuels, madame Arena préfère poser des bouts de papier collant sur les vices, nombreux, du système. Pire : elle le perfectionne, en le rendant plus vicieux. Normal, après tout, puisque c’est ce système qui l’a menée jusqu’à son poste actuel. Cette remarque vaut également pour les autres politiciens, quel que soit le parti les employant.

Le courrier de madame Milquet affirmait presque que le nouveau décret apportait bienfaits au citoyen. Après étude du décret, je peux conclure le contraire sans hésitation : les parents ont perdu de leur liberté et l’enseignement francophone poursuivra, lors des prochaines années, sa chute abyssale.


[1] Les dotations ou subventions propres à l’élève exclu seront attribuées au nouvel établissement du jeune en question, quelle que soit la date du renvoi.

[2] Article 79, §2 nouveau, 1°, du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre (ci-dessous : décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement), introduit par l’article 12, 1°, du futur décret Arena.

[3] L’enseignement fondamental comprend le niveau maternel et le niveau primaire (art. 2 du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement).

[4] Article 79, §3 nouveau, du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement, introduit par l’article 12, 2°, du futur décret Arena.

[5] Article 79, §4 nouveau, du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement, introduit par l’article 12, 2°, du futur décret Arena.

[6] Article 79, §5 nouveau, du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement, introduit par l’article 12, 2°, du futur décret Arena. 

[7] Documents du Parlement de la Communauté française, Session 2006-2007, no 354/001, p. 3. 

[8] Voir l’avis 41.523/2 de la section législation du Conseil d’état. Dans un premier temps, la Cour d’arbitrage a validé la plus grande liberté accordée aux établissements libres : « Il y a (…), entre l’enseignement officiel et l’enseignement libre, une différence objective que la Constitution impose au législateur décrétal de respecter. Elle justifie (…) que l’accès à un établissement de l’enseignement libre subventionné puisse être subordonné à des conditions différentes de celles qui régissent l’accès à un établissement de l’enseignement officiel. » (C.A. 4 novembre 1998, 110/98, B.5.3.) Ensuite, quand le décret flamand est arrivé sur sa table, la cour constitutionnelle a estimé le principe d’ « égalité des chances » supérieur à sa jurisprudence précédente. Elle a donc validé le décret. (C.A. 8 octobre 2003, 131/2003)

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Commentaires
B
Contre le décret Arena, regardez la video d'une vérité criante et signez la pétition :<br /> <br /> http://www.thepetition.eu/petition/petition.php?idp=decret_arena<br />
M
Bonjour,<br /> <br /> Je vous invite à visiter le site d'ELEVeS (mouvement pour des ECOLES LIBRES EFFICACES VIVANTES et SOLIDAIRES). <br /> <br /> PLus d'info sur le site mais en résumé, nous entendons être une plate-forme de réflexion pour stimler la qualité de l'enseignement en Communauté française et veiller à la liberté d'enseignement, dans tous les réseaux et dans le respect et la coexistence des différentes filières.<br /> <br /> Cordialement,<br /> Michel Parys<br /> michel.pa@eleves.be
L
Donc le décret est passé et depuis je n'entends plus rien , ni de la part de la directrice de l'établissement que fréquente mon fils, ni dans la presse, ni nulle part.<br /> J'aimerais savoir si le décret à été envoyé aux directeurs (trices ) des écoles ou bien si Arena a mis la sourdine en espérant que les parents aient la mémoire assez courte pour voter PS aux prochaines législatives et ensuite activer l'affaire après les élections ?<br /> Y a t-il un comité anti décret actif?<br /> Cela m'intéresse.
M
Comme nombre d'entre vous, j'ai été assez actif pour combattre le vote de ce décret qui, malheureseusement, en annoncent d'autres.<br /> Il y a une stratégie bien achalandée derrière ceux-ci. Comme la majorité des parents et des citoyens se désintéressent de l'action politique (au sens noble du terme - si cela est toutefois possible aujourd'hui), nos politiques avancent sans se soucier de nos avis et positions (que dire de nos besoins!).<br /> <br /> La pétition de 25.000 et plus signatures les a surpris mais au lieu de l'admettre publiquement (ce qu'ils font pourtant dans l'ombre et en apparté), ils ont préféré parler de désinformation...<br /> <br /> Cela est lamentable et non digne de personnages devant prendre des responsabilités.<br /> <br /> Soyons clair, de plus en plus, cela devient un cercle restreint, où tout le monde se connaît et hésite à enfreindre la route de son collègue... <br /> Car demain il y aura d'autres accords...<br /> <br /> M.
T
Merci pour cette analyse bien documentée que je ne risque pas de lire dans Le Soir !
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