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Porte entr'ouverte
26 octobre 2007

Après élections (4). Critique ciblée du dossier « Si la Belgique éclate » du Vif/L’Express

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Dans son édition du 31 août, l’hebdomadaire Le Vif/L’Express (n° 2930) présentait à ses lecteurs un dossier intitulé « Si la Belgique éclate » aux sous-titres pompeux : « ce que les Flamands vont nous faire payer » – « 600.000 pauvres en Wallonie » – « nos revenus amputés de 4 p.c. » – « pensions et allocations sociales : moins 20 p.c. »

Usant d’une rhétorique guerrière plutôt malvenue pour la description d’un pays que certains souhaitent voir vivre, Le Vif/L’Express avait, à n’en pas douter, pris position dans le débat. Jugez-en plutôt : « son combat de quarante ans » (en parlant de la Flandre) ; « ces menaces à peine voilées » ; « démon communautaire » ; « danger qui guette » ; « « front » des partis francophones » ; « armés de cartes (…), ils alertent les décideurs politiques » ; « la Flandre ouvrirait les hostilités » ; « la Wallonie, première victime désignée » ; etc.

Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, l’hebdomadaire usait des traditionnelles circonlocutions masquant les vrais chiffres, visiblement pas assez convaincants en soi : « Près du tiers des firmes de plus de cent travailleurs ont aujourd’hui un site de production dans un moins deux Régions du pays. La séparation les obligerait à de délicats comptes d’apothicaire (…). » – « Globalement, les montants annuels versés par la Flandre ne sont pas de 10 milliards d’euros, comme l’ont fait croire des études flamandes, mais de 5 bons milliards. »

La langue française, après avoir été manipulée, se voyait ensuite bafouée par les rédacteurs du dossier : « La scission du pays aurait un coup (sic) immédiat pour la Wallonie indépendante, qu’elle le veuille ou non. Elle la priverait des fameux « transferts » en provenance de Bruxelles et, surtout, de Flandre. Terminée, la solidarité organisée à l’échelon fédéral ! » Même en imaginant, comme les auteurs, que des entités froides puissent dégager de quelconques sentiments (pour rappel, la solidarité en est un), l’usage du terme n’en resterait pas moins impropre : les Flamands ne veulent visiblement plus faire preuve d’« entraide » vis-à-vis de leurs compatriotes francophones ; or, la solidarité coïncide avec ce sentiment d’entraide ; elle a par conséquent disparu du paysage wallono-flamand avant toute réforme de l’état !

L’absence de logique et les contradictions internes au dossier rendait ce dernier d’un niveau quasi nul. Ainsi, débutant une réflexion par une note positive pour les travailleurs wallons (« Une forte augmentation des salaires en Flandre pourrait (…) engendrer des demandes similaires en Wallonie »), les rédacteurs concluaient ledit raisonnement par l’exact opposé du postulat de départ (« Une spirale infernale qui ferait mal à l’emploi. Donc, au travailleur wallon. »). Ailleurs, ils évoquaient l’apocalypse économique qu’engendrerait une scission du pays pour les entreprises (« La séparation (…) obligerait (les firmes qui ont aujourd’hui un site de production dans au moins deux régions du pays) à de délicats comptes d’apothicaire pour déterminer la part de leurs revenus à soumettre à des régimes d’imposition distincts. Elle exposerait ces entreprises à une complexité administrative affolante, susceptible de faire exploser les coûts de gestion du personnel ») alors que, plus loin, ils reconnaissaient que « les entreprises seraient tentées de quitter la Wallonie et Bruxelles pour répondre aux sirènes d’une fiscalité flamande moins vorace. »

Des fausses vérités apparaissaient également. Si, d’un côté, Le Vif/L’Express vouait aux gémonies cette étude flamande affirmant que les transferts Wallonie – Flandre s’élevaient à 10 milliards d’euros, il abandonnait très clairement son « sens critique », de l’autre côté, dès lors qu’il s’agissait des 5,6 milliards évalués par l’étude francophone. Pourtant, pourquoi porter plus de crédit à cette dernière ? Les rédacteurs écrivaient bien que « les montants annuels ne sont pas de 10 milliards d’euros, comme l’ont fait croire des études flamandes, mais de 5 bons milliards », mais ne justifiaient pas leur prise de position (purement communautaire en réalité) face aux deux études.

Enfin, le ridicule était atteint lorsque les rédacteurs imaginaient une Flandre presque en faillite suite à la scission de la Belgique. Interdépendances économiques perdues, Bruxelles perdue, label chocolat belge perdu, label bière belge perdu, vieillissement de la population, petit territoire : n’importe quel prétexte était bon pour prophétiser le déclin de la Flandre après la disparition de la Belgique. Bref : ce dossier fut un bide intellectuel.

Pourtant, en coupant, de ci de là, quelques extraits d’icelui, on aurait pu obtenir un papier plus réaliste. Jugez plutôt :

« A ce jour, il n’existe aucune vision commune d’un destin conjoint ou séparé des Wallons et des Bruxellois francophones, largement majoritaires dans la capitale, en cas de divorce belge.

Pour briser cette loi du silence, une poignée d’économistes s’activent fort heureusement depuis une dizaine d’années. Armés de cartes, de chiffres (inquiétants) et de projections, ils alertent les décideurs politiques et tentent de sensibiliser l’opinion politique quant aux coûts du séparatisme et aux nécessités d’amortir le « choc » en prenant les mesures qui s’imposent tout de suite : accentuation d’un plan de redressement wallon fondé sur l’esprit d’entreprise, fusion des gouvernements de la Communauté française et de la Région wallonne, élagage des réseaux d’enseignement, suppression des provinces et des diverses baronnies politiques, limitation du nombre de fonctionnaires, par exemple. »

« Le « trou » entre recettes et dépenses pour la Sécu 100 % wallonne ? Plus de 2 milliards. Soit quelques 616 euros par habitant et par an, selon l’économiste Giuseppe Pagano (université de Mons-Hainaut). Toutes les études francophones convergent en tout cas : il n’y aurait guère d’autre solution que de diminuer les diverses prestations sociales de 15 à 20 % ! »

« Michel Mignolet, professeur aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP) de Namur, fait partie du trio d’économistes wallons chargés d’aider les partis politiques à anticiper les coups de stratégo de leurs homologues flamands. Discrétion assurée. Longtemps, on a occulté certaines réalités : le retard économique du Sud, par exemple, tout au long des années 1980 et 1990. Mais, face à la menace séparatiste, les langues se délient : (…) « Je suis surpris de l’inconscience des Wallons. Ils ne changent guère leurs comportements, semblant ne pas redouter que le système redistributif puisse se montrer soudain moins généreux. Leur épargne dite « de précaution » est moins élevée que celle des Flamands, qui ont moins à craindre de l’avenir ; leur propension à travailler est plus faible aussi, même si c’est dans une moindre mesure. Dans la crise que nous vivons, le monde politique francophone, lui, souffre de l’absence d’une vision commune quant à l’avenir de l’axe Wallonie-Bruxelles. Veut-il l’union des deux entités ? Pense-t-il qu’elles ont des destins séparés ? Cela n’apparaît pas clairement. C’est un handicap dans une négociation avec les Flamands. Cela prive les négociateurs francophones d’un point de référence qui ferait consensus et par rapport auquel on peut se donner des objectifs clairs. » »

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